mercredi 29 août 2018

Madeleine Delbrêl - La joie et l'humour



ORATOIRE DOMINICAL AVRIL 2018 – La joie et l’humour




Le 26 janvier 2018 le pape François a déclaré Vénérable Madeleine Delbrêl, ouvrant  la voie à une possible canonisation, si un miracle était reconnu. Le cardinal Martini disait d’elle qu’elle était « une des plus grandes mystiques du XXème siècle ».

Madeleine Delbrêl est né en 1904 en Dordogne. Elle est très attachée à sa mère qui a une grande foi. Elle changera plusieurs fois de domicile au gré des mutations de son père, chef de gare. En 1926 elle reçoit le prix de poésie Sully Prud’homme de l’Académie française. Elle commence des études de littérature et de philosophie à la Sorbonne, et à ce moment-là elle est complètement athée ; elle écrit un poème qui résonne comme une déclaration d’athéisme : « Dieu est mort, vive la mort » ; « notre monde et notre histoire étaient la plus sinistre farce qu’on puisse imaginer » [in : ville marxiste; terre de mission]. Elle aime la danse et passer du temps avec ses amis, notamment un jeune homme, Jean Meydieu, avec qui ses amis la voient déjà fiancée. Mais celui-ci entre chez les Dominicains, et elle-même le 29 mars 1924, de manière subite est « éblouie par Dieu ». Elle rejoint le scoutisme et entame un chemin de vérité, de discernement, aidée par l’abbé Lorenzo ; si elle envisage un temps d’entrer  au Carmel, elle prend finalement conscience que son existence se déroulera auprès des couches populaires les plus pauvres, physiquement, économiquement, moralement. Et elle continue de réfléchir à la dimension évangélique qu’elle souhaite donner à sa vie, par la présence et la mission, sous la forme d’équipes appelées « Charité du Christ ». Ainsi le 16 octobre 1933, avec deux compagnes, s’engage-t-elle au service du Christ dans la paroisse Saint-Jean Baptiste d’Ivry où elle  intègre la mairie en tant qu’assistante sociale.

Madeleine Delbrêl n’est pas essentiellement poète comme pouvait l’être Marie Noël, mais l’écriture et la poésie font partie intégrante de sa vie.

C’est à Ivry, dans cette ville, structurée par le parti communiste, où les catholiques étaient les directeurs d’usine les plus durs avec les ouvriers, qu’ils payaient mal,  où elle a été reçue d’abord par des insultes et des cailloux, qu’elle va s’efforcer de vivre l’Evangile, de manifester l’amour de Dieu, de témoigner. Elle fait en sorte de structurer ses équipes, centrées sur une vie contemplative enracinée dans l’Évangile, et vécue au cœur du monde où elle travaille dans le respect et la proximité  avec les communistes, dont elle apprécie la fraternité, le souci des plus humbles, le sens de l’organisation. Elle écrira avec la pointe d’humour qui la caractérise : «Si le cœur est rigoureusement absent de la doctrine communiste, il est sans doute son plus important facteur d’action.» [Athéisme et évangélisation] Elle aura même été tentée par l’adhésion au parti, mais une relecture approfondie de l’Evangile lui montrera l’incompatibilité du message du Christ avec la violence inscrite dans le marxisme. Si l’Evangile prône une préférence pour les plus pauvres, nul n’est exclu de l’amour de Dieu.
On a pu dire d’elle qu’elle était la sœur aînée des prêtres ouvriers, dont elle a réalisé l’idéal : témoigner du Christ en travaillant au milieu des ouvriers. Elle a été mêlée au début du séminaire de la Mission de France en 1941 et quand la crise éclate et que le 1er mars 1954 les autorités romaines exigent l’arrêt de cette expérience, c’est pour Madeleine une déception et un déchirement sévère, cependant l’obéissance à l’Eglise sera toujours première.
Madeleine Delbrêl meurt en 1964, épuisée, elle dont la santé n’était pas très bonne, à sa table de travail.

Pour moi, Madeleine est l’exemple même du disciple-apôtre (ou missionnaire), immergée dans un milieu a priori hostile, communistes hier, ultra-libéraliste ou autres aujourd’hui. Elle écrit dans Nous autre, gens des rues : « Plus le monde où l’on va est sans Eglise, plus il faut y être l’Eglise. C’est en elle qu’est la Mission. Il faut qu’elle passe à travers nous. » Et dans la Joie de Croire, ses notes destinées à une conférence : Lire page 224.

Elle s’est donnée sans relâche à cette mission, où l’amour de Dieu était absolument indissociable de l’amour du prochain, comme elle l’écrit dans Nous autres, gens des rues : « L’amour du Christ est universel. Tout amour des uns qui nous ôte l’amour des autres n’est pas amour du Christ ». Et dans Communautés selon l’Evangile , à propos du travail en équipe et des désaccords: « Dès que l’amour mutuel est blessé, il y a une mise à la porte du Christ, pas seulement hors de l’équipe mais aussi pour les autres, puisque le Christ n’est plus là » (p.54). Elle a connu les déceptions, le découragement, la fatigue, la souffrance (elle est obligée de démissionner de son travail d’assistance sociale) et pourtant tous les témoins parlent de la joie, de l’humour de Madeleine.

Alcide ou le parfait petit crâne

Ce petit recueil est composé de très courts paragraphes, de toutes petites histoires, de sentences, en fait d’apophtegmes, tels que nous les ont transmis les pères du désert. On y trouve trois parties : Livre du Débutant / Livre du Progressant / Livre du Parfait.
 Lecture préface pages 34, 35 ,36.
Pourquoi Alcide : par antiphrase, Alcide est le premier nom d’Héraclès ; mais point de recherche de la gloire humaine chez lui. D’ailleurs il est surnommé le petit crâne, parce qu’il est disponible pour être rempli : « Le petit crâne, parce qu’il est creux ne sait que recevoir. (Alcide un jour qu’il cherchait une vocation). »

Lire page 52

L’humour vient du contraste et donc de la surprise entre la sentence énoncée, et la situation concrète qui l’a inspirée, mise entre parenthèses, qui est toujours une situation d’une extrême banalité dans laquelle chacun peut se retrouver.
 Ex : « N’oublie pas que la prière est faite pour rendre bon, et non pour empêcher de l’être.
(Alcide un jour où on venait le chercher à l’église) ».
Ces deux simples phrases arrivent à créer une petite scénette dans laquelle chacun se reconnaît. Et ainsi Madeleine nous rappelle à l’essentiel, la prière ne doit pas se faire au détriment des frères, elle n’est pas le but en soi.

« Dieu t’attend sûrement dans tes frères : es-tu sûr de le trouver là où tu vas en le quittant ?
(Un jour où Alcide avait envie de prendre l’air)

« La maladie qui te fait malade ne fait pas tes frères infirmiers »

« Briller n’est pas éclairer. / (Alcide un jour d’éloquence). »

« Pour trouver Dieu, il faut savoir qu’il est partout ; mais savoir aussi qu’il n’y est pas seul. / (Alcide utilisait volontiers cette phrase quand un tas de choses l’intéressait ou quand un tas de gens l’ennuyait). »

L’humour de Madeleine est fait aussi de jeux de mots, de parodies : « Sainteté ! Que de saints sont ratés en ton nom ! » (parodie de la parole de Mme Roland au pied de l’échafaud : « Liberté que de crimes on commet en ton nom ».) Souvent Madeleine écrit des poèmes en reprenant des vers ou des rythmes, comme des clins d’œil, à d’autres auteurs, Paul Eluard par exemple.
Ainsi ce petit recueil nous donne-t-il des conseils pour notre vie spirituelle dans notre quotidien, banal mais tragique, sans jamais se prendre au sérieux (« O mon Dieu, ‘ si je me prends au tragique aidez-moi à ne pas me prendre au sérieux’ ».)

On réalise donc que l’humour est une façon joyeuse d’affronter les difficultés de la vie. Madeleine a écrit Alcide dans une période de grande tension due à la fois à la responsabilité des Equipes et à son activité professionnelle à la mairie. Ces apophtegmes, qui jouent sur le contraste et la surprise sont un moyen en fait pour décentrer le moi blessé ou blessant et ainsi grandir en humilité. De l’humour pour garder sa bonne humeur et regarder vers l’avant et de l’humour pour plus d’humilité. Tous ces mots ont peut-être bien la même racine.


La joie et l’humour de Madeleine éclatent aussi dans ses poèmes, qui ont toujours un ancrage dans la réalité vécue


Des méditations poétiques

Madeleine part donc de la vie quotidienne et de ses propres faiblesses pour en faire une méditation parce que  c’est  là les lieux où Dieu nous rejoints. Ces textes, toujours écrits suite à une circonstance particulière circulaient parmi les proches de Madeleine, qui ne voulait pas les publier ; elle ne voulait pas faire de littérature.

Humour dans l’amour p.25 : C’est quand elle accueille Dieu avec humour, que Dieu lui fait dépasser cet humour pour la mener vers la joie et la liberté.


Spiritualité du vélo p.68  Dans ce poème Madeleine s’adresse à Dieu et compare sa situation de chrétienne missionnaire, instable et en déséquilibre contrairement aux religieux qui ont une règle pour les aider, à un vélo qui a besoin de l’élan et de la vitesse pour rester en équilibre. La comparaison est surprenante et prête à sourire.

Dans ce poème, Madeleine se moque de nos plaintes continuelles pour des broutilles Politesse pour Dieu (p.63, tome 3). Le titre évoque Dieu, qui semble pourtant absent de ces plaintes où chacun peut se reconnaître. C’est que la politesse consisterait à tourner vers Dieu ces désagréments et les transformer en actions de grâce. Ainsi dans cet extrait de ce long poème : Joies de la montagne (p.80).

L’humour chez Madeleine Delbrêl est tout à la fois un trait de caractère, une mise à distance des événements désagréables de la vie, un décentrement du moi, mais aussi un moyen pour accéder à la vraie joie.


La fantaisie

Enfin un autre aspect de sa joie se caractérise par des fantaisies, des écrits pleins de fraîcheur et de trouvailles, comme le conte intitulé le Nagneau. C’est l’histoire d’un chien frisé que son maître appelle Monchien. Leurs relations sont bonnes, jusqu’au jour où des hommes venus d’un autre pays tuent les autres hommes. Dans la panique le maître et Monchien sont séparés. Eloigné de son maître, il est pris pour un agneau. De la séparation naît la souffrance, comme  lorsque l’homme s’est séparé de Dieu. Considéré comme une bête exceptionnelle, le Nagneau est mis dans pré-salé pour finir à l’abattoir après engraissement. Aidé par un ours, il met en place un projet de sauvetage des autres agneaux, les convaincant de ne plus brouter d’herbe pour ne pas grossir, et ce au détriment de sa vie. En effet, lui continuera de manger pour être sacrifié. In extremis, la veille de Pâques, son maître le retrouve et le sauve.

Dans cette fantaisie Madeleine nous enseigne  quelques vérités sur l’homme et sur Dieu, avec légèreté, et nous montre qu’elle sait bien manier l’ironie. Celle-ci en effet, procède du point de vue adopté qui est celui du chien. Lire pages page 111


Il y a vraiment deux types de comique, celui qui détruit, qui isole, qui exclut, celui des bourreaux de Jésus qui l’humilie et tourne en dérision ce qu’Il est ; et l’humour, l’esprit qui fait grandir, qui est une correction fraternelle toute en douceur et en charité. C’est bien évidemment cette charité, par l’intermédiaire aussi de ses écrits les plus littéraires qui transparaît chez Madeleine Delbrêl, et une charité empreinte d’une véritable tendresse.





Muriel Olmeta-Seigner

mardi 2 janvier 2018

Marie Noël (Marie Rouget) 1883-1967

J’ai bien souvent de la peine avec Dieu

(Lecture : Les Chansons et les Heures, à Tierce)


Marie Noël est née et morte à Auxerre, qu’elle n’a pratiquement jamais quitté de sa vie, sauf pour aller à Paris, régler des problèmes de maisons d’éditions ou voir un médecin.  « Dans la maison de mes parents d’où je ne suis jamais sortie, rien ne m’est arrivé, que dans mon âme … » (page 232). Les plus grands voyages, les plus rudes, elle les aura faits dans son être le plus profond ; les plus grands sommets ou les plus grands abîmes, elle les aura domptés par la force de son âme, de sa foi, et de son écriture poétique. Si comme le disait Pascal, « Tout le malheur des  hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », Marie Noël peut être dite « heureuse ». Mais ces combats, s’ils ont été menés dans la solitude, n’auront pas été menés dans l’isolement. La correspondance qui vient de sortir entre Marie Noël et l’abbé Mugnier, sous le titre « J’ai bien souvent de la peine avec Dieu », nous montre à la fois la beauté de cette âme et sa profondeur poétique, mais aussi le rayon lumineux de ce prêtre qui aura su la guider, la libérer.

Elle est issue d’une famille aisée et cultivée, musicienne, son père était professeur agrégé de philosophie, agnostique, il donnera à sa fille une belle culture intellectuelle. Sa poésie est ambivalente : à la fois chant des saisons, aux cadences simples qui font penser aux rondeaux du Moyen Age, mais aussi poèmes du tourment de l’amour de Dieu, dur avec ceux qui l’aiment.

Deux événements majeurs vont marquer les jeunes années de Marie Noël et lui laisser un profond traumatisme : le départ d’un jeune homme aimé, qui va laisser dans son œuvre un personnage, celui de l’Absent ; et la découverte de son petit frère mort dans son lit, le lendemain du jour de Noël, ce qui la conduira à écrire un poème magnifique de sobriété qui s’intitule Office pour l’enfant mort.  Vers les trente ans, elle traverse une crise morale, intellectuelle, spirituelle, une terrible dépression qui lui fait perdre l’usage partiel de ses jambes et lui fait perdre en partie la vue. Toute sa vie, elle sera sujette à des décompensations psychiques, à de l’angoisse, qu’on appelait à l’époque la « mélancolie ». C’est dire que la poétesse est hantée par la figure du mal, par ce qui chez elle va prendre l’apparence de la dualité de Dieu : un Dieu Noir, intraitable, qui se cache au fond de sa peur et le Christ, miséricorde, pour qui elle est tout Amour.

Cette ambivalence est illustrée par le chant d’Adam et Eve, où Adam obéit à Dieu et donc pour manger tue ; tandis qu’Eve est la mère nourricière, la mère de ce Dieu  tout amour qui se donne dans le pain.

Voilà, en guise d’introduction ; maintenant je vous propose plus particulièrement de découvrir cet auteur en suivant les axes que nous livre l’abbé Mugnier dans sa direction spirituelle, puisque celle-ci est inséparable d’un encouragement littéraire. [16 février 1918 – 20 décembre 1943 – 200 lettres]

1.     L’abbé est celui qui lève la censure morale : « Lisez donc, sans scrupules, tous les livres que vous m’avez nommés. » C’est le premier conseil de l’abbé, après lui avoir dit d’emblée que : «  Ceci est pour vous – pour vous seule. Autant d’âmes, autant de manières de les diriger. »
A l’époque, l’Eglise mettait certaines œuvres à l’Index, pour protéger les âmes, et Marie Noël est prise entre le désir intellectuel et littéraire, donné par son père,  de lire ces œuvres de grands auteurs (Hugo, Musset, Vigny …) et la peur du péché. Le conseil de l’abbé est clair : « suivre vos goûts littéraires qui sont l’indice d’une vocation » ; et un peu plus loin : « Dieu vous mithritadisera »  (page 42). Conseil encore bien clair quelques années après, lorsqu’elle écrira : » Je prévois chez moi une nouvelle crise de cette terreur du ‘livre défendu’ que vous aviez si bien calmée » (168) : page 167 / 170

2.     Il refuse l’opposition foi /raison : Ne pas se laisser intimider par les intellectuels, ce que Marie Noël appelle ‘la tentation de l’esprit » (66), « au fond, c’est en moi qu’est mon danger … j’ai peur de ma pensée et de tout ce qui la provoque » (67). L’abbé la rassure : « Chaque ouvrage, même de génie n’est qu’un balbutiement de plus. Je respecte ce balbutiement, je l’admire même, mais je garde mes idées et mon Credo tout entier ». (page 69 ; page 155). C’est un conseil précieux pour Marie Noël qui explique comment les ouvrages des philosophes ou des scientifiques la bousculent (page 46). Ils font naître en elle des crises d’angoisse « j’ai prié comme un être perdu pour que ma raison fût détruite et ma foi sauvée » (page 145) « au fond, c’est en moi qu’est mon danger … j’ai peur de ma pensée et de tout ce qui la provoque » (67) .
 Il lui répond comme toujours dans des lettres beaucoup plus brèves que les siennes mais ses réponses témoignent d’une véritable écoute. Le ton est assuré, réconfortant, personnel ; l’impératif est bienveillant et rassurant (« Donc, fortifiez-vous et de continuez de plusieurs manières. Ne revenez pas en arrière. Ne faites pas de dosage »page 49). Malgré tout le doute reviendra plus tard, en des termes moins angoissés cependant (pages 287 – 288).

3.     L’abbé est un cœur qui écoute : « J’aurais bien besoin de vos conseils pour me refaire une âme » (p.71) , « Je vous dis tout ce qui me passe par le cœur – selon ma coutume, pour que vous m’aidiez à le purifier, à l’éclairer » (p.209) . Parfois, Marie Noël expose des problèmes de conscience, une conscience qu’elle scrute et analyse méticuleusement, dans un souci  de perfectionnement spirituel : LIRE p.116 .La réponse de l’abbé à ces scrupuleuses confessions écrites est un hymne à la vie (page 136). On a bien souvent l’impression de voir d’un côté une vision janséniste de la vie chrétienne, où la vie est un péché, et de l’autre une vision prise chez saint François de Sales, page 63 : « allez sans peur et faites votre miel des fleurs les moins orthodoxes ». « Je veux que vous considériez la Religion comme une source de vie. Dieu n’est pas le dieu des morts mais des vivants » (49)
Le mot « subconscient » qu’emploie ici l’abbé montre bien que les conseils spirituels se fondent dans des conseils proprement psychologiques qui vont aider Marie Noël à plusieurs reprises à reprendre pied dans la réalité et dans la vie : « vous avez été pour moi un constat sauvetage. » (page 263). L’abbé agit ainsi comme un thérapeute avisé.

4.     Enfin, la direction spirituelle de l’abbé Mugnier se déploie de manière magnifique dans la dimension littéraire de sa protégée, sous trois aspects : encouragements, conseils, poésie comme vocation religieuse.

ü    Encouragements : « Vous êtes notre seul, notre vrai poète chrétien » (p.197) ; à propos du Rosaire des Joies : « Il y a en vous de l’ogive, du vitrail, de la colonnette, et un encens qu’on ne fabrique plus » (p.211). Mais surtout l’abbé va l’inciter à transformer la souffrance de son âme tourmentée en poésie : «  car vous souffrirez toujours et je crois que c’est l’une des cordes les plus frémissantes, les plus inspirées de votre lyre. » (p.196). Il l’invite à un retournement de perspectives.

(Lecture  Chant de la Vierge Marie – Le Rosaire des Joies)


ü     Conseils : sur le poème Adam et Eve, elle doute, craint que la base de son poème soit « une hérésie, un blasphème » et donc que ce soit mal (102), puis quelques années après l’abbé lui donne ce conseil p.179 : « vous serez une chrétienne perpétuellement blessée, révoltée parfois, pressée entre des devoirs qui se contredisent ; jamais hélas ! tout à fait tranquille. Il faut se résigner à cet état d’angoisse, mais y ajouter le sourire. Ne bataillez pas trop intérieurement et laissez du jeu à votre liberté qui en a besoin…’, et son poème aboutit (p.180), 182.
Parfois, le conseil donné est de ne pas encore publier à cause de la hardiesse et Marie Noël obéira  (page 143 /147); c’est le cas pour le poème « Ténèbres », publié en 2017 Enfin, c’est lui qui lui conseillera d’écrire des souvenirs, ce qu’elle acceptera finalement de faire et qui donneront ses magnifiques « Notes intimes. »

ü     Fonction de la poésie : à de nombreuses reprises l’abbé va exhorter Marie Noël à ne pas se disperser dans des œuvres paroissiales telles que le patronage. Pour lui, la poésie est son apostolat « vous servez Dieu, vous faites sa volonté très sainte en développant ses dons. Mettez cela dans votre mentalité de chrétienne… » (p. 107, 1923) puis en 1940, pour encourager les soldats dont elle a atteint l’âme : « continuer votre vie de poète et de la considérer comme l’apostolat le plus rare et le plus précieux », parce que pour lui Dieu est un poète. Il a bien compris qu’elle touchait les gens du « parvis ». Jamais en revanche il ne la détournera des soins qu’elle doit à sa famille et aux démunis, et même aux animaux qui viennent chercher refuge auprès d’elle « le sentiment d’amour qui me lie aux humbles gens avec qui et pour qui je vis à la paroisse » (51).

Cette direction spirituelle apparaît véritablement comme d’abord une libération, puis une incitation à la sainteté par la voie de la poésie.  C’est sa « petite voie » à elle. Face à cette âme éprise d’absolu, tourmentée par l’idée du mal, l’abbé saura apporter une réponse efficace, réconfortante, toute en pudeur avec des mots incisifs et bienveillants.
Et bien sûr, au fil de cet échange épistolaire, une amitié profonde se déploie, une amitié d’âme à âme.

Pour terminer un extrait de Vision (Les Chansons et les Heures), où elle évoque sa mort, depuis l’autre rivage C’est simple, tout en retenue, poignant mais sans pathos, magnifique!


Muriel Olmeta


Journal  d’un curé de campagne, de Georges Bernanos


« La  parole de Dieu, c’est un fer rouge ».  Choisir Bernanos pour parler d’un cœur ardent me semblait aller de soi tant son œuvre est radicale et tant le figure de son curé de campagne est décapante.

REPERES

+ 20 février 1888: naissance à Paris de Georges Bernanos, d'ascendance espagnole et lorraine par son père—éduqué par les jésuites —, adhère à l'Action française, dont il se détachera en 1932. Prison avec Les Camelots du Roy (monarchie Portugal)
+ Son premier roman Sous le soleil de Satan paraît en 1926. Dans Les grands cimetières sous la lune (1938), il s'élève contre la collusion de l'Eglise avec Franco. Il condamne les accords de Munich, pendant la guerre depuis le Brésil où il vivait, il envoie des écrits aux journaux de la Résistance. Appelé par de Gaulle après la guerre         .
+ Bernanos meurt à Neuilly en 1948. Un an après paraît sa dernière œuvre Dialogue des carmélites
+ On peut noter que Bernanos a vécu à Hyères de 1931 à 1934.
+ Liberté – Fidélité sont le fil conducteur de sa vie.



1.           Ce roman se présente comme un journal intime qui en fait n’en est pas un : on n’y trouve pas de dates, peu de lieux, mais il permet de rentrer dans les pensées et émotions du jeune curé qui le tient. Son but est de mener « une conversation entre le bon Dieu et moi, une manière de prolonger la prière ». En fait, et c’est presque un paradoxe, pour un journal, ce roman est une polyphonie magnifique sur la grâce, le christianisme, le mal, la pauvreté. Il est en effet une succession de dialogues puissants, souvent de confessions, tant ce petit curé a un don pour l’amitié. Ces dialogues, dans des tête à tête serrés permettent d’apercevoir les âmes.

A ce curé dont nous ne connaîtrons jamais le nom, seulement l’âge à la fin (vers les trente ans), se trouve confié une paroisse en pleine campagne, dans le Nord, à Ambricourt, rude et austère, « dévorée par l’ennui » comparé à « une pluie de cendres » où il est épié, jugé, jaugé. Là se jouent aussi des drames familiaux terribles, des sous-entendus et jalousie destructeurs dans lesquels ses paroles simples et inspirés mettent le feu en guérissant spirituellement certaines plaies, comme une cautérisation.

2.           Ce curé à la fois humble et passionné, maladroit et juste, est au centre de cette polyphonie où s’élancent des voix diverses de prêtres, ou non :

Ø      la sublime figure du curé de Torcy, chrétien passionné brûlé d’amour, révolté  contre une certaine forme d’Eglise : page 53. On sent vibrer dans ses paroles une saine colère d’amour.

Page 89 et page 100 on sent le cœur ardent de ce vieux prêtre, qui ne lâche jamais rien de la radicalité de la Parole.
 Ce personnage est le double accompli, plus expérimenté, du jeune curé, le prêtre qu’il ne sera jamais.


Ø      le doyen de Blangermont, prêt à toutes les compromissions parce que « tout ce qui existe doit être utilisé pour le bien » ;

Ø     le docteur athée Delbende, (qui en fait ne s’est jamais remis d’avoir perdu la foi et dont la vie est devenue une colère contre Dieu). Pour lui les courbettes faites aux riches par l’Eglise sont une trahison  du Christ ; page 120.

Ø      Cette succession de dialogues trouve son apogée au trois quart du roman dans la confrontation magistrale entre le curé et la comtesse. Parce qu’effectivement se pose en filigrane aussi dans tout le roman cette question : qui est le pauvre ? La comtesse est une femme fière, que l’éducation a porté à confondre pudeur et dissimulation, et qui au plus profond d’elle-même est déchirée. Trahie maintes fois par un mari volage qui la trompe encore avec la jeune institutrice de ses enfants que le prêtre voit à la messe en semaine « le visage plongé dans ses mains » ; haïe par sa fille –Mlle Chantal – qui lui reproche de se taire et d’accepter, et qui est jalouse de son père aussi ; mais surtout elle est révoltée contre Dieu qui lui a volé son enfant, son fils de dix-huit mois. Devant ce prêtre fragile, livide, pauvre elle se réfugie d’abord derrière les apparences et joue à la femme comblée : « ce foyer monsieur l’abbé est un foyer chrétien ». S’ensuit ce dialogue intransigeant page 200.

Mais le curé porte sur elle un tel regard de vérité et d’amour qu’il la touche au plus juste de sa souffrance. Il est véritablement inspiré : « C’est alors –non, cela ne peut s’exprimer – tandis que je luttais de toutes mes forces contre le doute, la peur que l’esprit de prière rentra en moi ». Alors la comtesse hurle sa souffrance, et le prêtre guidé par l’Esprit, la conduit vers Dieu et sa miséricorde. page 203.

Et quelques pages plus loin, à la tension dramatique, psychologique et spirituelle aussi intense, la comtesse arrache de son corset un médaillon contenant une mèche de cheveux de son fils. Le prêtre note qu’ « il semblait qu’une main mystérieuse venait d’ouvrir une brèche dans on ne sait quelle muraille invisible, et la paix rentrait de toutes parts » (212). Finalement la comtesse baisse les armes et se rend au prêtre, qui lui demande de tout donner, « orgueil compris ». Voilà la fin de cette confrontation cœur à cœur, p.212.
Le lecteur sort sonné, embrasé, de ce dialogue intense et plein de braise.

Mais dans cet échange magistral, la comtesse trouve après coup les mots justes pour qualifier le prêtre : « J'espère ne pas vous froisser en vous traitant d'enfant ? Vous l'êtes. Que le Bon Dieu vous garde tel, à jamais. » Et on pense bien sûr à ce passage de l’Evangile : «  Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux ». (St Matthieu, chapitre 18)



3.     Ce journal se lit aussi comme une mort programmée. Dès le début malade, le jeune curé finit par cracher du sang et par mourir d’un cancer de l’estomac. Ce qui donne la figure ascétique d’un prêtre ne se nourrissant que de pain et de vin ; dès lors cette descente vers la mort se lit aussi comme un combat spirituel pour la sainteté : tomber et se relever parce que « tout est grâce », même la mort, tels sont les mots de Ste Thérèse qu’il prononce en mourant. Quel contraste dès lors entre l’apparente platitude d’une vie sobre et douloureuse et le feu spirituel qui l’anime : faire de son Jésus le feu brûlant de son cœur. En effet, « l’enfer, c’est de ne plus aimer ». Ce journal d’un curé de campagne raconte aussi son chemin de croix.

Bien-sûr, le mal rôde, en la personne notamment de Mlle Chantal, mal en elle et diffusé autour d’elle. Le mal qui vient des mots, de la médisance pour nuire et détruire. Pourtant Dieu, par l’intercession du curé, a réussi à vaincre la révolte blasphématoire de la comtesse.  Le Mal « ne sera toujours qu’une ébauche, l’ébauche d’une création hideuse, avortée, à l’extrême limite de l’être ». Ainsi, la voie est-elle de se guérir, dans le cœur de Jésus Christ, qui est la seule paix.
Telles sont les dernières paroles du journal : « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus- Christ » page 345.


Ce roman est sublime, c’est du feu ; il est fait de contrastes, en effet il allie la passion et la rigueur, le feu (dans la tension et le surnaturel des dialogues) et la sobriété dans les procédés d’écriture.    Et on ne peut s’empêcher d’entendre résonner, à sa lecture, les Béatitudes.