Marie Noël (Marie Rouget) 1883-1967
J’ai
bien souvent de la peine avec Dieu
(Lecture : Les Chansons
et les Heures, à Tierce)
Marie
Noël est née et morte à Auxerre, qu’elle n’a pratiquement jamais quitté de sa
vie, sauf pour aller à Paris, régler des problèmes de maisons d’éditions ou
voir un médecin. « Dans la maison de mes parents d’où je ne suis
jamais sortie, rien ne m’est arrivé, que dans mon âme … » (page 232). Les
plus grands voyages, les plus rudes, elle les aura faits dans son être le plus
profond ; les plus grands sommets ou les plus grands abîmes, elle les aura
domptés par la force de son âme, de sa foi, et de son écriture poétique. Si
comme le disait Pascal, « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne
savoir pas demeurer en repos dans une chambre », Marie Noël peut être dite
« heureuse ». Mais ces combats, s’ils ont été menés dans la solitude,
n’auront pas été menés dans l’isolement. La correspondance qui vient de sortir
entre Marie Noël et l’abbé Mugnier, sous le titre « J’ai bien souvent de
la peine avec Dieu », nous montre à la fois la beauté de cette âme et sa
profondeur poétique, mais aussi le rayon lumineux de ce prêtre qui aura su la
guider, la libérer.
Elle
est issue d’une famille aisée et cultivée, musicienne, son père était
professeur agrégé de philosophie, agnostique, il donnera à sa fille une belle
culture intellectuelle. Sa poésie est ambivalente : à la fois chant des
saisons, aux cadences simples qui font penser aux rondeaux du Moyen Age, mais
aussi poèmes du tourment de l’amour de Dieu, dur avec ceux qui l’aiment.
Deux
événements majeurs vont marquer les jeunes années de Marie Noël et lui laisser
un profond traumatisme : le départ d’un jeune homme aimé, qui va laisser
dans son œuvre un personnage, celui de l’Absent ; et la découverte de son
petit frère mort dans son lit, le lendemain du jour de Noël, ce qui la conduira
à écrire un poème magnifique de sobriété qui s’intitule Office pour l’enfant
mort. Vers les trente ans, elle traverse
une crise morale, intellectuelle, spirituelle, une terrible dépression qui lui
fait perdre l’usage partiel de ses jambes et lui fait perdre en partie la vue. Toute
sa vie, elle sera sujette à des décompensations psychiques, à de l’angoisse,
qu’on appelait à l’époque la « mélancolie ». C’est dire que la
poétesse est hantée par la figure du mal, par ce qui chez elle va prendre
l’apparence de la dualité de Dieu : un Dieu Noir, intraitable, qui se
cache au fond de sa peur et le Christ, miséricorde, pour qui elle est tout
Amour.
Cette
ambivalence est illustrée par le chant d’Adam et Eve, où Adam obéit à Dieu et
donc pour manger tue ; tandis qu’Eve est la mère nourricière, la mère de
ce Dieu tout amour qui se donne dans le
pain.
Voilà,
en guise d’introduction ; maintenant je vous propose plus particulièrement
de découvrir cet auteur en suivant les axes que nous livre l’abbé Mugnier dans
sa direction spirituelle, puisque celle-ci est inséparable d’un encouragement
littéraire. [16 février 1918 – 20 décembre 1943 – 200 lettres]
1. L’abbé est celui qui lève la censure morale : « Lisez
donc, sans scrupules, tous les livres que vous m’avez nommés. » C’est le
premier conseil de l’abbé, après lui avoir dit d’emblée que : «
Ceci est pour vous – pour vous seule. Autant d’âmes, autant de manières de les
diriger. »
A
l’époque, l’Eglise mettait certaines œuvres à l’Index, pour protéger les âmes,
et Marie Noël est prise entre le désir intellectuel et littéraire, donné par
son père, de lire ces œuvres de grands
auteurs (Hugo, Musset, Vigny …) et la peur du péché. Le conseil de l’abbé est
clair : « suivre vos goûts littéraires qui sont l’indice d’une
vocation » ; et un peu plus loin : « Dieu vous
mithritadisera » (page 42). Conseil encore bien clair quelques années après,
lorsqu’elle écrira : » Je prévois chez moi une nouvelle crise de cette
terreur du ‘livre défendu’ que vous aviez si bien calmée » (168) : page 167 / 170
2. Il refuse l’opposition foi /raison : Ne pas se
laisser intimider par les intellectuels, ce que Marie Noël appelle ‘la
tentation de l’esprit » (66), « au fond, c’est en moi qu’est mon
danger … j’ai peur de ma pensée et de tout ce qui la provoque » (67).
L’abbé la rassure : « Chaque ouvrage, même de génie n’est qu’un
balbutiement de plus. Je respecte ce balbutiement, je l’admire même, mais je
garde mes idées et mon Credo tout entier ». (page 69 ; page 155).
C’est un conseil précieux pour Marie Noël qui explique comment les ouvrages des
philosophes ou des scientifiques la bousculent (page 46). Ils font naître en
elle des crises d’angoisse « j’ai prié comme un être perdu pour que ma
raison fût détruite et ma foi sauvée » (page 145) « au fond, c’est en
moi qu’est mon danger … j’ai peur de ma pensée et de tout ce qui la
provoque » (67) .
Il lui répond comme toujours dans des lettres
beaucoup plus brèves que les siennes mais ses réponses témoignent d’une
véritable écoute. Le ton est assuré, réconfortant, personnel ; l’impératif
est bienveillant et rassurant (« Donc, fortifiez-vous et de continuez de
plusieurs manières. Ne revenez pas en arrière. Ne faites pas de dosage »page
49). Malgré tout le doute reviendra plus tard, en des termes moins angoissés
cependant (pages 287 – 288).
3. L’abbé est un cœur qui écoute : « J’aurais
bien besoin de vos conseils pour me refaire une âme » (p.71) , « Je
vous dis tout ce qui me passe par le cœur – selon ma coutume, pour que vous
m’aidiez à le purifier, à l’éclairer » (p.209) . Parfois, Marie Noël
expose des problèmes de conscience, une conscience qu’elle scrute et analyse
méticuleusement, dans un souci de
perfectionnement spirituel : LIRE p.116 .La
réponse de l’abbé à ces scrupuleuses confessions écrites est un hymne à la vie (page
136). On a bien souvent l’impression de voir
d’un côté une vision janséniste de la vie chrétienne, où la vie est un péché,
et de l’autre une vision prise chez saint François de Sales, page 63 :
« allez sans peur et faites votre miel des fleurs les moins
orthodoxes ». « Je veux que vous considériez la Religion comme une
source de vie. Dieu n’est pas le dieu des morts mais des vivants » (49)
Le
mot « subconscient » qu’emploie ici l’abbé montre bien que les
conseils spirituels se fondent dans des conseils proprement psychologiques qui
vont aider Marie Noël à plusieurs reprises à reprendre pied dans la réalité et
dans la vie : « vous avez été pour moi un constat sauvetage. » (page
263). L’abbé agit ainsi comme un thérapeute avisé.
4. Enfin, la direction spirituelle de l’abbé Mugnier se
déploie de manière magnifique dans la dimension littéraire de sa protégée, sous
trois aspects : encouragements, conseils, poésie comme vocation religieuse.
ü
Encouragements :
« Vous êtes notre seul, notre vrai poète chrétien » (p.197) ; à
propos du Rosaire des Joies : « Il y a en vous de l’ogive, du
vitrail, de la colonnette, et un encens qu’on ne fabrique plus » (p.211).
Mais surtout l’abbé va l’inciter à transformer la souffrance de son âme
tourmentée en poésie : « car vous souffrirez toujours et je crois
que c’est l’une des cordes les plus frémissantes, les plus inspirées de votre
lyre. » (p.196). Il l’invite à un retournement de perspectives.
(Lecture Chant de la Vierge
Marie – Le Rosaire des Joies)
ü Conseils : sur le poème Adam et Eve, elle doute,
craint que la base de son poème soit « une hérésie, un blasphème » et
donc que ce soit mal (102), puis quelques années après l’abbé lui donne ce conseil
p.179 : « vous serez une chrétienne
perpétuellement blessée, révoltée parfois, pressée entre des devoirs qui se
contredisent ; jamais hélas ! tout à fait tranquille. Il faut se
résigner à cet état d’angoisse, mais y ajouter le sourire. Ne bataillez pas
trop intérieurement et laissez du jeu à votre liberté qui en a besoin…’, et son
poème aboutit (p.180), 182.
Parfois,
le conseil donné est de ne pas encore publier à cause de la hardiesse et Marie
Noël obéira (page 143 /147); c’est le cas pour le poème
« Ténèbres », publié en 2017 Enfin, c’est lui qui lui conseillera
d’écrire des souvenirs, ce qu’elle acceptera finalement de faire et qui
donneront ses magnifiques « Notes intimes. »
ü Fonction de la poésie : à de nombreuses reprises
l’abbé va exhorter Marie Noël à ne pas se disperser dans des œuvres paroissiales
telles que le patronage. Pour lui, la poésie est son apostolat « vous
servez Dieu, vous faites sa volonté très sainte en développant ses dons. Mettez
cela dans votre mentalité de chrétienne… » (p. 107, 1923) puis en 1940,
pour encourager les soldats dont elle a atteint l’âme : « continuer
votre vie de poète et de la considérer comme l’apostolat le plus rare et le
plus précieux », parce que pour lui Dieu est un poète. Il a bien compris
qu’elle touchait les gens du « parvis ». Jamais en revanche il ne la
détournera des soins qu’elle doit à sa famille et aux démunis, et même aux
animaux qui viennent chercher refuge auprès d’elle « le sentiment d’amour
qui me lie aux humbles gens avec qui et pour qui je vis à la paroisse »
(51).
Cette
direction spirituelle apparaît véritablement comme d’abord une libération, puis
une incitation à la sainteté par la voie de la poésie. C’est sa « petite voie » à elle.
Face à cette âme éprise d’absolu, tourmentée par l’idée du mal, l’abbé saura
apporter une réponse efficace, réconfortante, toute en pudeur avec des mots
incisifs et bienveillants.
Et
bien sûr, au fil de cet échange épistolaire, une amitié profonde se déploie,
une amitié d’âme à âme.
Pour
terminer un extrait de Vision (Les Chansons et les
Heures), où elle évoque sa mort, depuis l’autre rivage C’est simple,
tout en retenue, poignant mais sans pathos, magnifique!
Muriel
Olmeta
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