mardi 2 janvier 2018

Journal  d’un curé de campagne, de Georges Bernanos


« La  parole de Dieu, c’est un fer rouge ».  Choisir Bernanos pour parler d’un cœur ardent me semblait aller de soi tant son œuvre est radicale et tant le figure de son curé de campagne est décapante.

REPERES

+ 20 février 1888: naissance à Paris de Georges Bernanos, d'ascendance espagnole et lorraine par son père—éduqué par les jésuites —, adhère à l'Action française, dont il se détachera en 1932. Prison avec Les Camelots du Roy (monarchie Portugal)
+ Son premier roman Sous le soleil de Satan paraît en 1926. Dans Les grands cimetières sous la lune (1938), il s'élève contre la collusion de l'Eglise avec Franco. Il condamne les accords de Munich, pendant la guerre depuis le Brésil où il vivait, il envoie des écrits aux journaux de la Résistance. Appelé par de Gaulle après la guerre         .
+ Bernanos meurt à Neuilly en 1948. Un an après paraît sa dernière œuvre Dialogue des carmélites
+ On peut noter que Bernanos a vécu à Hyères de 1931 à 1934.
+ Liberté – Fidélité sont le fil conducteur de sa vie.



1.           Ce roman se présente comme un journal intime qui en fait n’en est pas un : on n’y trouve pas de dates, peu de lieux, mais il permet de rentrer dans les pensées et émotions du jeune curé qui le tient. Son but est de mener « une conversation entre le bon Dieu et moi, une manière de prolonger la prière ». En fait, et c’est presque un paradoxe, pour un journal, ce roman est une polyphonie magnifique sur la grâce, le christianisme, le mal, la pauvreté. Il est en effet une succession de dialogues puissants, souvent de confessions, tant ce petit curé a un don pour l’amitié. Ces dialogues, dans des tête à tête serrés permettent d’apercevoir les âmes.

A ce curé dont nous ne connaîtrons jamais le nom, seulement l’âge à la fin (vers les trente ans), se trouve confié une paroisse en pleine campagne, dans le Nord, à Ambricourt, rude et austère, « dévorée par l’ennui » comparé à « une pluie de cendres » où il est épié, jugé, jaugé. Là se jouent aussi des drames familiaux terribles, des sous-entendus et jalousie destructeurs dans lesquels ses paroles simples et inspirés mettent le feu en guérissant spirituellement certaines plaies, comme une cautérisation.

2.           Ce curé à la fois humble et passionné, maladroit et juste, est au centre de cette polyphonie où s’élancent des voix diverses de prêtres, ou non :

Ø      la sublime figure du curé de Torcy, chrétien passionné brûlé d’amour, révolté  contre une certaine forme d’Eglise : page 53. On sent vibrer dans ses paroles une saine colère d’amour.

Page 89 et page 100 on sent le cœur ardent de ce vieux prêtre, qui ne lâche jamais rien de la radicalité de la Parole.
 Ce personnage est le double accompli, plus expérimenté, du jeune curé, le prêtre qu’il ne sera jamais.


Ø      le doyen de Blangermont, prêt à toutes les compromissions parce que « tout ce qui existe doit être utilisé pour le bien » ;

Ø     le docteur athée Delbende, (qui en fait ne s’est jamais remis d’avoir perdu la foi et dont la vie est devenue une colère contre Dieu). Pour lui les courbettes faites aux riches par l’Eglise sont une trahison  du Christ ; page 120.

Ø      Cette succession de dialogues trouve son apogée au trois quart du roman dans la confrontation magistrale entre le curé et la comtesse. Parce qu’effectivement se pose en filigrane aussi dans tout le roman cette question : qui est le pauvre ? La comtesse est une femme fière, que l’éducation a porté à confondre pudeur et dissimulation, et qui au plus profond d’elle-même est déchirée. Trahie maintes fois par un mari volage qui la trompe encore avec la jeune institutrice de ses enfants que le prêtre voit à la messe en semaine « le visage plongé dans ses mains » ; haïe par sa fille –Mlle Chantal – qui lui reproche de se taire et d’accepter, et qui est jalouse de son père aussi ; mais surtout elle est révoltée contre Dieu qui lui a volé son enfant, son fils de dix-huit mois. Devant ce prêtre fragile, livide, pauvre elle se réfugie d’abord derrière les apparences et joue à la femme comblée : « ce foyer monsieur l’abbé est un foyer chrétien ». S’ensuit ce dialogue intransigeant page 200.

Mais le curé porte sur elle un tel regard de vérité et d’amour qu’il la touche au plus juste de sa souffrance. Il est véritablement inspiré : « C’est alors –non, cela ne peut s’exprimer – tandis que je luttais de toutes mes forces contre le doute, la peur que l’esprit de prière rentra en moi ». Alors la comtesse hurle sa souffrance, et le prêtre guidé par l’Esprit, la conduit vers Dieu et sa miséricorde. page 203.

Et quelques pages plus loin, à la tension dramatique, psychologique et spirituelle aussi intense, la comtesse arrache de son corset un médaillon contenant une mèche de cheveux de son fils. Le prêtre note qu’ « il semblait qu’une main mystérieuse venait d’ouvrir une brèche dans on ne sait quelle muraille invisible, et la paix rentrait de toutes parts » (212). Finalement la comtesse baisse les armes et se rend au prêtre, qui lui demande de tout donner, « orgueil compris ». Voilà la fin de cette confrontation cœur à cœur, p.212.
Le lecteur sort sonné, embrasé, de ce dialogue intense et plein de braise.

Mais dans cet échange magistral, la comtesse trouve après coup les mots justes pour qualifier le prêtre : « J'espère ne pas vous froisser en vous traitant d'enfant ? Vous l'êtes. Que le Bon Dieu vous garde tel, à jamais. » Et on pense bien sûr à ce passage de l’Evangile : «  Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux ». (St Matthieu, chapitre 18)



3.     Ce journal se lit aussi comme une mort programmée. Dès le début malade, le jeune curé finit par cracher du sang et par mourir d’un cancer de l’estomac. Ce qui donne la figure ascétique d’un prêtre ne se nourrissant que de pain et de vin ; dès lors cette descente vers la mort se lit aussi comme un combat spirituel pour la sainteté : tomber et se relever parce que « tout est grâce », même la mort, tels sont les mots de Ste Thérèse qu’il prononce en mourant. Quel contraste dès lors entre l’apparente platitude d’une vie sobre et douloureuse et le feu spirituel qui l’anime : faire de son Jésus le feu brûlant de son cœur. En effet, « l’enfer, c’est de ne plus aimer ». Ce journal d’un curé de campagne raconte aussi son chemin de croix.

Bien-sûr, le mal rôde, en la personne notamment de Mlle Chantal, mal en elle et diffusé autour d’elle. Le mal qui vient des mots, de la médisance pour nuire et détruire. Pourtant Dieu, par l’intercession du curé, a réussi à vaincre la révolte blasphématoire de la comtesse.  Le Mal « ne sera toujours qu’une ébauche, l’ébauche d’une création hideuse, avortée, à l’extrême limite de l’être ». Ainsi, la voie est-elle de se guérir, dans le cœur de Jésus Christ, qui est la seule paix.
Telles sont les dernières paroles du journal : « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus- Christ » page 345.


Ce roman est sublime, c’est du feu ; il est fait de contrastes, en effet il allie la passion et la rigueur, le feu (dans la tension et le surnaturel des dialogues) et la sobriété dans les procédés d’écriture.    Et on ne peut s’empêcher d’entendre résonner, à sa lecture, les Béatitudes.

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