Journal d’un curé de campagne, de Georges Bernanos
« La parole de Dieu, c’est un fer rouge ». Choisir Bernanos pour parler d’un cœur ardent
me semblait aller de soi tant son œuvre est radicale et tant le figure de son
curé de campagne est décapante.
REPERES
+ 20 février 1888: naissance à Paris de Georges Bernanos, d'ascendance espagnole et lorraine par son père—éduqué par les jésuites —, adhère à l'Action française, dont il se détachera en 1932. Prison avec Les Camelots du Roy (monarchie Portugal)
+ Son premier roman Sous le soleil de Satan paraît en 1926. Dans Les grands cimetières sous la lune (1938), il s'élève contre la collusion de l'Eglise avec Franco. Il condamne les accords de Munich, pendant la guerre depuis le Brésil où il vivait, il envoie des écrits aux journaux de la Résistance. Appelé par de Gaulle après la guerre .
+ Bernanos meurt à Neuilly en 1948. Un an après paraît sa dernière œuvre Dialogue des carmélites
+ 20 février 1888: naissance à Paris de Georges Bernanos, d'ascendance espagnole et lorraine par son père—éduqué par les jésuites —, adhère à l'Action française, dont il se détachera en 1932. Prison avec Les Camelots du Roy (monarchie Portugal)
+ Son premier roman Sous le soleil de Satan paraît en 1926. Dans Les grands cimetières sous la lune (1938), il s'élève contre la collusion de l'Eglise avec Franco. Il condamne les accords de Munich, pendant la guerre depuis le Brésil où il vivait, il envoie des écrits aux journaux de la Résistance. Appelé par de Gaulle après la guerre .
+ Bernanos meurt à Neuilly en 1948. Un an après paraît sa dernière œuvre Dialogue des carmélites
+ On peut noter que Bernanos a vécu à Hyères de 1931
à 1934.
+
Liberté – Fidélité sont le fil conducteur de sa vie.
1.
Ce roman se présente comme un journal intime qui en fait n’en est
pas un : on n’y trouve pas de dates, peu de lieux, mais il permet de
rentrer dans les pensées et émotions du jeune curé qui le tient. Son but est de
mener « une conversation entre le bon Dieu et moi, une manière de
prolonger la prière ». En fait, et c’est presque un paradoxe, pour un
journal, ce roman est une polyphonie magnifique sur la grâce, le christianisme,
le mal, la pauvreté. Il est en effet une succession de dialogues puissants,
souvent de confessions, tant ce petit curé a un don pour l’amitié. Ces
dialogues, dans des tête à tête serrés permettent d’apercevoir les âmes.
A ce
curé dont nous ne connaîtrons jamais le nom, seulement l’âge à la fin (vers les
trente ans), se trouve confié une paroisse en pleine campagne, dans le Nord, à
Ambricourt, rude et austère, « dévorée par l’ennui » comparé à « une
pluie de cendres » où il est épié, jugé, jaugé. Là se jouent aussi des
drames familiaux terribles, des sous-entendus et jalousie destructeurs dans
lesquels ses paroles simples et inspirés mettent le feu en guérissant
spirituellement certaines plaies, comme une cautérisation.
2.
Ce curé à la fois humble et passionné, maladroit et juste, est au
centre de cette polyphonie où s’élancent des voix diverses de prêtres, ou non :
Ø
la sublime figure du curé
de Torcy, chrétien passionné brûlé d’amour, révolté contre une certaine
forme d’Eglise : page 53. On sent vibrer dans ses paroles une saine colère d’amour.
Page
89 et page 100 on sent le cœur ardent de ce vieux prêtre, qui ne lâche jamais
rien de la radicalité de la Parole.
Ce personnage est le double accompli, plus
expérimenté, du jeune curé, le prêtre qu’il ne sera jamais.
Ø
le doyen de Blangermont,
prêt à toutes les compromissions parce que « tout ce qui existe doit être
utilisé pour le bien » ;
Ø
le docteur athée Delbende, (qui en fait ne s’est jamais remis d’avoir
perdu la foi et dont la vie est devenue une colère contre Dieu). Pour lui les
courbettes faites aux riches par l’Eglise sont une trahison du
Christ ; page 120.
Ø
Cette succession de
dialogues trouve son apogée au trois quart du roman dans la confrontation
magistrale entre le curé et la comtesse. Parce qu’effectivement se pose en
filigrane aussi dans tout le roman cette question : qui est le pauvre ?
La comtesse est une femme fière, que l’éducation a porté à confondre pudeur et
dissimulation, et qui au plus profond d’elle-même est déchirée. Trahie maintes
fois par un mari volage qui la trompe encore avec la jeune institutrice de ses
enfants que le prêtre voit à la messe en semaine « le visage plongé dans
ses mains » ; haïe par sa fille –Mlle Chantal – qui lui reproche de
se taire et d’accepter, et qui est jalouse de son père aussi ; mais surtout
elle est révoltée contre Dieu qui lui a volé son enfant, son fils de dix-huit
mois. Devant ce prêtre fragile, livide, pauvre elle se réfugie d’abord derrière les apparences et
joue à la femme comblée : « ce foyer monsieur l’abbé est un
foyer chrétien ». S’ensuit ce dialogue
intransigeant page 200.
Mais le curé porte sur
elle un tel regard de vérité et d’amour qu’il la touche au plus juste de sa souffrance.
Il est véritablement inspiré : « C’est alors –non, cela ne peut
s’exprimer – tandis que je luttais de toutes mes forces contre le doute, la
peur que l’esprit de prière rentra en moi ». Alors la comtesse hurle sa
souffrance, et le prêtre guidé par l’Esprit, la conduit vers Dieu et sa
miséricorde. page
203.
Et quelques pages plus
loin, à la tension dramatique, psychologique et spirituelle aussi intense, la
comtesse arrache de son corset un médaillon contenant une mèche de cheveux de
son fils. Le prêtre note qu’ « il semblait qu’une main mystérieuse
venait d’ouvrir une brèche dans on ne sait quelle muraille invisible, et la
paix rentrait de toutes parts » (212). Finalement la comtesse baisse les
armes et se rend au prêtre, qui lui demande de tout donner, « orgueil
compris ». Voilà la fin de cette confrontation cœur à cœur, p.212.
Le lecteur sort sonné, embrasé,
de ce dialogue intense et plein de braise.
Mais dans cet échange
magistral, la comtesse trouve après coup les mots justes pour qualifier le
prêtre : « J'espère ne pas vous froisser en vous traitant d'enfant ? Vous
l'êtes. Que le Bon Dieu vous garde tel, à jamais. » Et on pense bien sûr à
ce passage de l’Evangile : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour
devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des
Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus
grand dans le royaume des Cieux ». (St Matthieu, chapitre 18)
3.
Ce
journal se lit aussi comme une mort programmée. Dès le début malade, le jeune
curé finit par cracher du sang et par mourir d’un cancer de l’estomac. Ce qui
donne la figure ascétique d’un prêtre ne se nourrissant que de pain et de
vin ; dès lors cette descente vers la mort se lit aussi comme un combat
spirituel pour la sainteté : tomber et se relever parce que « tout
est grâce », même la mort, tels sont les mots de Ste Thérèse qu’il
prononce en mourant. Quel contraste dès lors entre l’apparente platitude d’une
vie sobre et douloureuse et le feu spirituel qui l’anime : faire de son
Jésus le feu brûlant de son cœur. En effet, « l’enfer, c’est de ne plus
aimer ». Ce journal d’un curé de campagne raconte aussi son chemin de
croix.
Bien-sûr, le mal rôde, en la personne
notamment de Mlle Chantal, mal en elle et diffusé autour d’elle. Le mal qui
vient des mots, de la médisance pour nuire et détruire. Pourtant Dieu, par
l’intercession du curé, a réussi à vaincre la révolte blasphématoire de la
comtesse. Le Mal « ne sera toujours qu’une ébauche, l’ébauche d’une
création hideuse, avortée, à l’extrême limite de l’être ». Ainsi, la voie
est-elle de se guérir, dans le cœur de Jésus Christ, qui est la seule paix.
Telles sont les dernières paroles du
journal : « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce
est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces
serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres
souffrants de Jésus- Christ » page 345.
Ce roman est sublime, c’est du feu ;
il est fait de contrastes, en effet il allie la passion et la rigueur, le feu (dans
la tension et le surnaturel des dialogues) et la sobriété dans les procédés
d’écriture. Et on ne peut s’empêcher d’entendre résonner,
à sa lecture, les Béatitudes.
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